Numéro spécial CAL

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Appel à contributions: La nature dans les villes latino-américaines au quotidien

 

Dossier coordonné par Chloé Nicolas-Artero (IHEAL-Creda UMR 7227), Xenia Fuster - Farfán (CRH - Université Vincennes-Saint-Denis (Paris VIII), Sébastien Velut (IHEAL - Université Paris 3 Sorbonne Nouvelle).

Date limite de réception des articles : 20 juin 2020

Publication prévue en juillet 2021

Contexte

Le continent latino-américain est le plus urbanisé au monde. Les villes latino-américaines se retrouvent aujourd’hui face à des défis majeurs : d’une part, offrir un logement et des conditions de vie dignes à plus de la moitié des habitants du continent et d’autre part, répondre aux enjeux majeurs du changement climatique. Ces défis semblent contradictoires. L’urbanisation, et particulièrement la densification ou l’étalement urbain, est source de dégradation de l’environnement. En effet, la modification de l’usage du sol, la réduction des espaces ouverts et la destruction des espaces de nature modifient les écoulements des eaux, accroissent les températures puis créent de nouveaux aléas en ville. En outre, les modes de vie urbains, comme les mobilités journalières et la consommation de masse, sont source d’émission de gaz à effet de serre, de pollutions des eaux, de gaspillage et de production massive de déchets.

L’économie politique de l’ensemble des pays du continent repose sur l’extractivisme qui « doit être compris comme un modèle d’accumulation fondé sur la surexploitation de ressources naturelles en grande partie non renouvelables et sur le déplacement des frontières des territoires jusqu’alors considérés comme « improductifs » [Svampa, 2011 : 105]. Néanmoins, ce modèle de développement ne concerne pas seulement les populations et les espaces ruraux [García-Jerez, 2019 ; Svampa et Viale, 2014]. Les dommages environnementaux qu’il produit touchent fortement les citadins. Les difficultés d’accès au sol conduisent certaines catégories de population à occuper des terrains dans des espaces de nature non urbanisés en ville, constituant des zones à risques. Les inondations et les éboulements de terrain liés aux fortes pluies concentrées sur de courtes périodes, les maladies respiratoires chroniques produites par les pollutions atmosphériques, ou encore l’augmentation du niveau de la mer affecteraient tout particulièrement les villes, et le continent latino-américain n’en serait pas une exception.

En même temps, les espaces urbains constituent un lieu privilégié pour créer des expériences alternatives et des politiques urbaines durables. Les villes sont au cœur de la transition énergétique, elles donnent lieu à des innovations dans les services urbains, elles accueillent différentes formes d’agriculture urbaine et voient naître des initiatives qui questionnent les rapports ville-campagne. Elles constituent également un lieu central de mobilisation contre les inégalités environnementales existantes ou d’opposition à la construction de grands aménagements urbains, comme en témoigne la multiplication de mouvements socio-environnementaux urbains.

Les sciences sociales ont mis du temps à s’intéresser aux questions environnementales dans les villes. La réflexion sur la nature a longtemps été associée à celle sur les espaces ruraux, la ville étant considérée comme un lieu privilégié de la culture et de la civilisation [Massard-Guilbaud, 2007]. En ce sens, les espaces urbains sont souvent perçus en opposition à la nature ou à la wilderness nord-américaine, jusqu’à ce que des auteurs comme William Cronon [1997], précurseur d’une histoire environnementale, proposent d’étudier les liens entre la croissance de la ville de Chicago et son arrière-pays. Bien que l’étude des rapports ville-campagne ne soit pas nouvelle en France [Querrien et Lassave, 1997], William Cronon inspire des chercheurs nord-américains qui fonderont la urban political ecology. Depuis les années quatre-vingt, ce courant interroge de manière critique les liens entre l’expansion du capitalisme, l’urbanisation et la construction sociale, matérielle et discursive, de la nature [Castree et Braun, 2001 ; Robbins, 2012]. Il conceptualise ce processus en étudiant le métabolisme urbain comme une transformation concomitante de la ville et de la nature [Heynen et al., 2006], à l’instar de l’étude de cas emblématique sur l’eau à Guayaquil analysée par Erik Swyngedouw [2004]. En France, l’approche depuis les réseaux techniques a interrogé la nature dans les villes dites des « Suds » à travers l’étude des services en réseau essentiel à la vie quotidienne (eau, énergie, déchets) [Coutard et al., 2002 ; Jaglin & Verdeil, 2013, Jaglin et Zérah, 2010]. Mettre en évidence les spécificités des régulations et des techniques de ces réseaux a permis de révéler la production de marges dans la ville [Coutard & Rutherford, 2009], les inégalités d’accès aux services urbains [Jaglin, 2004 ;] et les enjeux de la gestion des déchets dans les villes des « Suds » [Subrémon et Gouvello, 2012].

Plus généralement, l’environnement en milieu urbain a été appréhendé depuis le concept de ville durable [Theys et Emelianoff, 2001]. Les dispositifs d’action publique environnementaux ont été analysés pour comprendre les défis existant afin d’atteindre un développement durable, tel qu’il est défini et prôné par les institutions internationales depuis la publication du rapport de Bruntland en 1987 et le Sommet de Rio de 1992 [Emelianoff, 2007 ; Gauthier, 2006 ; Mathieu, 2006 ; Winchester, 2006]. En ce sens plusieurs recherches ont porté une attention particulière aux enjeux autour de l’essor d’une agriculture urbaine [Faliès & Mesclier, 2015], la recomposition des rapports villes-campagnes [Le Caro et al., 2016] et les nombreux défis associés à la transition énergétique [Subrémon, 2014]. Plus récemment, sous l’influence du courant de l’ecologia politica latinoamericana, l’existence d’inégalités socio-environnementales dans les villes latino-américaines a donné lieu à de nombreux travaux sur les mouvements socio-environnementaux urbains [Aliste & Stamm, 2016]. Ces discours contestataires, qui témoignent d’un tournant « écoterritorial des luttes » [Svampa, 2012], révèlent une transformation des rapports des habitants à l’environnement. Elle donne lieu, en sciences sociales, à une remise en question complète de la frontière entre nature et culture [Descola, 2005 ; Haraway, 1991 ; Latour, 2013], comme en témoignent les travaux récents sur les transformations des humains et des non humains dans la production urbaine [Steele et al., 2019].

Projet de dossier

Au lieu de proposer une réflexion conceptuelle (ville durable, inégalités environnementales, réseaux urbains) ce dossier invite à analyser les rapports des habitants à la nature au quotidien depuis la matérialité des espaces, mais également de ses représentations dans le cadre des dispositifs d’action publique environnementaux, parfois contestés. La production urbaine repose aujourd’hui sur la financiarisation [French, Leyshon et Wainwright, 2011 ; Aalbers, 2019] et l’écologisation des politiques urbaines et du logement [Barraqué, 2011 ; Mormont, 2013]. Ces spécificités façonnent nécessairement les rapports des habitants à la nature au quotidien et soulèvent la question de l’habiter dans les villes latino-américaines. Comment la production d’exclusions, d’inégalités, de ségrégations, dans et par la ville, s’imbrique-t-elle avec les enjeux environnementaux contemporains, et surtout, comment modifie-t-elle les rapports des habitants à la nature au quotidien ? 

Trois axes de recherches apparaissent comme centraux pour proposer une réflexion critique sur les rapports des habitants à la nature dans les villes latino-américaines aujourd’hui :

  • L’appropriation quotidienne de la nature par les habitants dans la ville. Les articles pourront proposer une réflexion sur l’usage, normé ou détourné, des espaces de nature urbains ; l’implication des habitants dans les dispositifs d’action publique de protection environnementale ou de détection des risques environnementaux ; ou la construction de ce qu’ils définissent comme des alternatives écologiques.
  • Les liens entre les conflits pour l’appropriation des espaces urbains et ceux pour l’appropriation de la nature. Les articles pourront proposer une réflexion sur l’imbrication entre les mobilisations socio-environnementales et les mouvements sociaux revendiquant le droit à la ville portés par les habitants : leurs revendications et stratégies, les modes d’action collective et leurs rapports aux institutions.
  • Les effets de l’écologisation des politiques urbaines et de logement sur la vie quotidienne des citadins. Les articles pourront apporter un éclairage sur les différentes modalités d’appropriation de la nature par les acteurs institutionnels dans l’élaboration des politiques de logement et d’aménagement urbain ; les jeux d’acteurs et les rapports de pouvoir dans leur mise en œuvre ; et ses effets sur la transformation des espaces vécus.

Modalités de soumission

Les contributions s’appuieront sur un travail de terrain inédit. Les articles peuvent être soumis en français, espagnol ou anglais. Ils devront contenir les informations suivantes :

– nom, prénom ;

– université ou laboratoire de rattachement ;

– présentation en 3-4 lignes : court CV avec adresse e-mail ; 

– titre de l’article ;

– l’article de 50 000 signes (espaces, notes, bibliographie incluse)

– le résumé en 3 langues (fr, en, es ou pt) et 5 mots-clés.

Le comité de rédaction de Cahiers des Amériques latines informera de l’acceptation ou non des propositions dans les meilleurs délais.

Les articles devront être envoyés à l’adresse suivante : cal97villes@gmail.com pour le 20 juin. Ils seront soumis à l’évaluation en double aveugle.

La publication du dossier est prévue pour juillet 2021.

Merci de bien vouloir consulter les instructions aux auteur-e-s : https://journals.openedition.org/cal/2324
Les articles ne répondant pas à ces instructions ne pourront être pris en compte.

 

Bibliographie

Aalbers M. (2019), Financialization, In D. Richardson, N. Castree, M. Goodchild, A. Kobayashi, & R. Marston, The International Encyclopedia of Geography: People, the Earth, Environment, and Technology, Oxford, Wiley, p. 1-14.

Aliste E. et Stamm C. (2016), Hacia una geografía de los conflictos socioambientales en Santiago de Chile : Lecturas para una ecología política del territorio. Revista de Estudios Sociales, no 35, 55, 45‑62. https://doi.org/10.7440/res55.2016.03

DOI : 10.7440/res55.2016.03

Barraqué B. (2011), Les enjeux de l’écologisation de la gestion de l’eau dans les écoquartiers. Espaces et sociétés, n° 144-145 (1), p. 209‑212.

Castree N. et Braun B. (dir.) (2001), Social nature : Theory, practice, and politics, Blackwell Publishers.

Coutard O., Hanley R. E. et Zimmerman R. (2002), Quatre contributions sur le développement durable des réseaux techniques, Flux, n° 47 (1), p. 4-6.

Coutard O. et Rutherford J. (2009), Les réseaux transformés par leurs marges : Développement et ambivalence des techniques « décentralisées », Flux, n° 76-77 (2), p. 6-13.

Descola P. (2005), Par-delà nature et culture. Paris, Gallimard.

Emelianoff C. (2007), La ville durable : L’hypothèse d’un tournant urbanistique en Europe, L’Information géographique, vol. 71 (3), p. 48‑65.

Faliès C. et Mesclier É. (2015), Introduction. Agriculture des métropoles : Voie d’avenir ou cache-misère ? Problemes d’Amerique latine, no 99(4), 5‑11

French S., Leyshon A., et Wainwright T. (2011), Financializing space, spacing financialization. Progress in Human Geography, 35(6), 1-22.

García-Jerez F. A. (2019), El extractivismo urbano y su giro ecoterritorial. Una mirada desde América Latina, Bitácora Urbano Territorial, 29 (2), p. 21‑28. https://doi.org/10.15446/bitacora.v29n2.77284

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Gauthier M. (2006), La ville, l’urbain et le développement durable dans la revue Natures Sciences Sociétés : Rétrospectives et prospectives. Natures Sciences Sociétés, 14 (4), p. 383‑391. https://doi.org/10.1051/nss :2007006

Haraway D. J. (1991), Simians, cyborgs, and women : The reinvention of nature, New York, Routledge.

Heynen N., Kaika M., et Swyngedouw E. (dir.) (2006), In the nature of cities : Urban political ecology and the politics of urban metabolism, New York, Routledge.

Jaglin S. (2004), Être branché ou pas, Flux, n° 56-57 (2), p. 4‑12.

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Jaglin S. et Zérah M.-H, (2010), Eau des villes : Repenser des services en mutation. Introduction, Revue Tiers Monde, 203 (3), p. 7. https://doi.org/10.3917/rtm.203.0007

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Latour B. (2013), Nous n’avons jamais été modernes : Essai d’anthropologie symétrique, Paris, La Découverte.

Massard-Guilbaud G. (2007), Pour une histoire environnementale de l’urbain, Histoire urbaine, 18 (1), p. 5. https://doi.org/10.3917/rhu.018.0005

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Mathieu N. (2006), Pour une construction interdisciplinaire du concept de milieu urbain durable, Natures Sciences Sociétés, 14 (4), p. 376‑382, https://doi.org/10.1051/nss:2007005

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Mormont M. (2013), Écologisation : Entre sciences, conventions et pratiques. Natures Sciences Societes, Vol.21 (2), p. 159‑160.

Querrien A., et Lassave P. (1997), Natures en villes, Les Annales de la Recherche Urbaine, 74 (1), p. 3‑4.

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Steele W., Wiesel, I. et Maller C. (2019), More-than-human cities : Where the wild things are, Geoforum, 106, p. 411‑415. https://doi.org/10.1016/j.geoforum.2019.04.007

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Subrémon H. (2014), Introduction, Flux, no 96(2), 4‑9.

Subrémon H. et Gouvello B. de (2012), Introduction, Flux, n° 87 (1), 4‑6.

Svampa M. (2011), Néo- « développementisme » extractiviste, gouvernements et mouvements sociaux en Amérique latine, Problèmes d’Amérique latine, no 81 (3), p. 101 -127.

Svampa M. (2012), Consenso de los commodities, giro ecoterritorial y pensamiento crítico en América Latina, Osal, 13(32), p. 15–38.

Svampa M. et Viale E. (2014), Maldesarrollo : La Argentina del extractivismo y el despojo.

Swyngedouw E. (2004), Social Power and the Urbanization of Water : Flows of Power, Oxford University Press.

Theys J. et Emelianoff C. (2001), Les contradictions de la ville durable. Le Débat, 113(1), p. 122, https://doi.org/10.3917/deba.113.0122

DOI : 10.3917/deba.113.0122

Winchester L. (2006), Desafíos para el desarrollo sostenible de las ciudades en América Latina y El Caribe. EURE (Santiago), 32 (96), https://doi.org/10.4067/S0250-71612006000200002

DOI : 10.4067/S0250-71612006000200002

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